Les cépages du domaine Pierre-André Jaunin situés à Lavaux, parmi les terrasses superposées et murets de pierres sèches bâtis par les moins cisterciens au Moyen Âge, sont entretenus par un vigneron pur jus, soucieux de son terroir qui l’entoure et le nourrit.
Ce jour-là, les nuages étaient anthracites, bas et gorgés de pluie. Depuis Saint Saphorin en direction de Chexbres, il fallut emprunter à pied la petite route, mangée par les feuillages et les vignes fleuries. La chaleur lourde et l’air chargé d’effluves poivrées de petrichor rendaient le panorama plus intense encore. Comme si d’un instant à l’autre, tout allait se décoiffer, que le ciel grondant allait se froisser et que les gouttes de pluie n’attendaient qu’un signe pour éclabousser le paysage à grande eau.

En contrebas, le clocher retentit avant que le bruissement du vent, le bourdonnement des abeilles et le son de la fontaine reprennent le dessus. Si l’on se fie à la mémoire des anciens du village, l’atmosphère n’a pas pris une ride. La bâtisse bernoise du vigneron-encaveur Pierre-André Jaunin, datant de 1750, a su garder l’élégance sans ostentation et vaines forfanteries. Un basilic allègre fleurit au premier étage, une boîte aux lettres en bois semble attendre les bonnes nouvelles et des rideaux en dentelle sont accrochées aux fenêtres. L’inscription « La Cochère » en lettres blanches liées est calligraphiée au dessus de la porte menant à la cave, là où 10 000 bouteilles d’appellation Saint-Saphorin sont élevés annuellement.
Un domaine en biodynamie
Marielle et Pierre-André Jaunin conduisent le plus petit domaine d’1,4 ha de la région en biodynamie depuis trente ans. Si la majorité des vignerons optent pour la méthode du guyot, le couple a choisi celle du gobelet, une technique majoritairement délaissée depuis les années ’70. Un mode de production à part, loin de l’agriculture productiviste et galopante qui tend à standardiser les façons de cultiver. A l’arrivée des hirondelles et du printemps, notre vigneron attache les rameaux et leur donne une coupe arrondie et indépendante. Les ceps ont ainsi leur propre échalas et leurs fruits sont alors exposés au soleil à 360 degrés. La forme de souche est équilibré et produit une dimension moins acide aux plantations.
C’est par passion qu’il opte pour cette façon de tailler. « Il me permet d’avoir un vin différent, un vin que j’aime », estime-t-il avec son sécateur à la main. « Je ne plante qu’une souche par mètre carré et je n’attends qu’un kilo de fruit, soit la moitié de ce que l’on obtiendrait avec le système en guyot. »

Le respect de la biodiversité
Issu d’une famille de vignerons, l’amour de ce métier le conduit avec son épouse à intégrer un rapport intelligent et global au vivant, de considérer le monde dans sa diversité. C’est pour un travail à la vigne et à la cave de qualité, avec en tête la préoccupation constante de ne pas dénaturer les saveurs propres de cette terre si singulière, qu’ils ont embrassé le métier. « Depuis 2001, les vignes ne sont pas désherbées, c’est ce qui a de mieux pour mon raisin. Je fauche en alternance une ligne sur deux. Ça permet à l’herbe d’engraisser le sol, de l’enrichir en matière organique et d’éloigner certains insectes. Il y a un bon équilibre entre herbes et vignes qui s’instaure mais, évidemment, ça demande de la patience », précise-t-il le regard habité par cette approche.
Son savoir-faire non interventionniste, met en lumière l’étendue et la finesse de sa compréhension de sa vigne. Pour ce puriste, le respect de la biodiversité est la clé de voûte de son artisanat. « Lorsque j’étais enfant, observer le désherbage par produits chimiques me faisait mal » livre le vigneron sensible. Son discours est clair, dénué de verbe haut. Ses vignes, il y pense nuit et jour. Il réfléchit, s’investit corps et âme, se crispe lorsque les pluies se font rares ou au contraire, se prolongent. Les techniques adoptées issues de l’expérience et ses connaissances du terrain sont pour lui primordiales et se répercutent sur le processus de maturité des raisins.
Un écosystème vivant
La vigne lui laisse peu de répit, car il faut sans relâche penser, prévoir, tester, surveiller, soigner, s’adapter… Les risques exigeants du métier. Son labeur est précis et en constante introspection. Sa femme et lui expérimentent sans cesse de nouvelles méthodes de production et de vieillissement pour déterminer ce qui fonctionne le mieux année après année. Tout en considérant le domaine comme un organisme vivant, ils essaient de porter au plus haut niveau d’expression le potentiel de leurs fruits. Ils tiennent également compte des rythmes lunaires, des changements climatiques et emploient des décoctions à bases de plantes afin de limiter le développement des parasites. Depuis quelques années, il expérimente l’initiative vertueuse de mettre du basalte, naturellement riche en magnésie et en fer, sur les pieds de vignes. « C’est à la vigne qu’on prépare le vin. Après… C’est trop tard », explique-t-il simplement.

Les vendanges sont soigneusement faites à la main en raccord avec sa vision du vin, avant de les passer dans un pressoir vertical contrôlé manuellement. Cela permet d’en extraire pleinement les arômes. Le vin est ensuite élevé sur lie afin de réduire l’usage des sulfites, d’affirmer leur caractère et de lui assurer une plus grande durée de conservation.
Déguster et apprécier
L’humilité et l’implication totale à la nature, c’est peut-être ça la recette magique du couple Jaunin, celle qui se ressent sur l’ensemble du domaine et dans l’architecture de son nectar de belle allure. Avec lui, son blanc n’arrose plus uniquement les fondues, il devient de grandes cuvées. Un verre de la Cochère, ce Chasselas Grand Crû aux arômes fruités et à la couleur minérale, permet d’atteindre une sorte de bien-être désarmant d’un autre temps, loin de tout mais au plus près des émotions pures.
Lors de la dégustation, la notion de plaisir prend une nuance différente lorsqu’elle a lieu au cœur du vignoble qui surplombe le lac Léman. Belvédère en lévitation entre ciel et terre. Un verre à la main, face à l’immensité du panorama aux couleurs changeantes, l’âme du vin, l’esprit des lieux et du corps se conjuguent dans un équilibre parfait. Ce cadre permet de déposer devant soi, avec une précaution infinie, les confidences, de celles qui restent ancrés en mémoire bien plus longtemps que 12 caudalies.
Sur le chemin du retour, en arpentant ces chemins étroits qui chassent discrètement leur chat dans la gorge, impossible d’ignorer les spécificités de ce terroir. Ce qui rend cette région aussi particulière, c’est sans doute le profil d’une Suisse qui lie le passé au présent, qui renoue l’humain à son environnement. Être ici, c’est un peu être témoin d’une Histoire qui se remet à battre.
Domaine Jaunin
Chem. de Chenilly 2
Chexbres
www.pierreandrejaunin.com