Le chef italo-égyptien Walter el Nagar nourrit les plus démunis tout en réduisant le gaspillage alimentaire grâce à l’usage des matières premières issues des surplus des producteurs locaux. Accompagné d’un collectif de bénévoles, sa vision est incarnée au Refettorio, un restaurant solidaire dans le quartier des Charmilles.
Lorsque Walter el Nagar raconte son parcours dans la salle lumineuse de son restaurant de 400 m2, situé sur la rive droite du lac Léman, on reconnait l’approche audacieuse d’un homme qui aime sortir des clous et qui pense avec le cœur. Tout commence par une profonde remise en question de son métier en 2016. « Alors que certains n’avaient pas de quoi remplir leurs réfrigérateurs, j’étais cuisinier dans un milieu privilégié où seule une clientèle fortunée pouvait s’attabler. »
Pour ce François d’Assise contemporain, à la conviction humaine chevillée au corps, cette injustice sociale l’indigne. Cette dernière le mène à s’interroger sur les fondements de sa profession, dont la vertu première consiste à nourrir l’âme et le corps. « Cette frustration m’a guidé vers mes valeurs personnelles, celles qui m’animent au quotidien. Pour être cohérent et retrouver du bon sens, j’ai eu envie de mettre mon savoir-faire culinaire à profit de ceux qui souffraient d’insécurité alimentaire » confie-t-il.
En Suisse, 330 kg de denrées alimentaires en moyenne sont gaspillées par personne et par année, la question d’un modèle durable lui apparait comme une évidence.
Un modèle de restauration novateur
Depuis le début de l’année, le chef insuffle un éveil des consciences, tout en bousculant les idées reçues. Sur un concept d’ores et déjà présent dans les plus grandes villes, comme Paris ou Milan, Refettorio Genève propose cinq services payants au public. La démarche humaniste permet ainsi de financer quotidiennement, du lundi au vendredi soir, 80 repas équilibrés de haut vol réservés à des personnes en situation de vulnérabilité sans rien débourser.
S’il pointe du doigt les réalités dramatiques, il y a dans sa voix un phrasé où entre beaucoup de vaillance. C’est avec ce dynamisme en ébullition qu’il s’attèle à sa fonction et qu’il fédère autour de lui des chefs bénévoles avec cet esprit fondé sur le principe sacré de l’hospitalité. « C’est un vrai restaurant avec le service qui va avec. Notre clientèle du soir ne s’y attend pas alors lorsque l’on voit leur plaisir, je suis comblé », explique-t-il.
Sur l’ardoise bien frappée, deux menus à choix au prix de trente-six francs. Ils comprennent une entrée, un plat et un dessert qui changent chaque semaine: tofu de petit pois, viande de bœuf suisse maturée au kōji, kale croustillant, tartare de truite, cake à la cacahuète noire, sorbet amazake… Chaque ingrédient est repensé avec soin, twisté par des saveurs qui sortent de l’ordinaire et qui offrent une clarté aux saveurs. Elaborer des techniques et un savoir-faire ouvrent des perspectives créatives infinies. Il s’adapte au produit, pas l’inverse. Ainsi, pour sauver des tomates un peu fatiguées, Walter les soumet à un procédé de fermentation et en fait du vinaigre; le pain sec broyé remplace les pignons dans une sauce pesto pendant que certains légumes se transforment en pickles dans de grandes jarres en verre. Rien ne se perd, tout se transforme.

L’esprit genevois
Ce qui importe à Walter c’est également de redonner une voix et une visibilité aux personnes en situation de précarité. La notion de dignité reprend ici une valeur essentielle dans le chemin de la revalorisation. « Lorsque j’ai parlé de cette approche alternative, j’ai immédiatement eu des retours. Ça a résonné dans les esprits, des centaines de personnes souhaitaient porter à bien l’initiative. J’ai reçu des propositions pour des aides de financement, en architecture ou en art. J’ai reconnu l’empathie et la compassion propre à Genève. Tout ce soutien m’a permis de réaliser le projet en un temps record. C’était grisant », souligne Walter.
Prendre place autour d’une table au Refettorio, c’est la promesse de faire société en aidant son prochain, renouer avec un moment de partage, dissiper l’ennuagement du cœur. Somme toute, prendre le temps de se restaurer, et ce, dans les deux sens du terme.
Pour plus d’informations, réserver une table, participer au projet ou se renseigner sur les formations professionnelles en cuisine:
Refettorio Genève
Rue de Lyon 120, 1203
Numéro de téléphone: +41 22 344 90 00
Lundi au vendredi: 12:00 – 14:00